mercredi 10 mars 2010

Retour de garde à vue II (pas de pitié pour les quidams)

   
La G.A.V. (garde à vue) 

Je parle d'expérience...
Ceux qui n’y ont pas goûté n’imaginent pas un instant ce qui se joue chaque jour et chaque nuit à leur porte, dans le commissariat de leur quartier. Plus grand sera leur étonnement si leur tour venait. Assuré de son immunité par le seul fait d’être un citoyen ordinaire et sans histoire, chacun se sent à l’abri. Cette tranquillité le rendra plus vulnérable! Les témoignages de personnes effarées concordent : chacun peut finir au poste. Croiser un policier, c’est sans s’en douter frôler le trou. 
Christophe Mercier, critique littéraire au Figaro a raconté son histoire, publiée chez Phébus (Garde à Vue, Phébus, 2007, 30 pages, 3 €)… et Frédéric Beigbeder raconte la sienne dans Un Roman français[1], (Grasset, août 2009, 18 €).  

 Pour ma part, je me rendais tranquillement au travail à vélo quand par inadvertance, je grillai un feu juste devant le Sénat. Pas d’intersection, juste un passage piéton et un feu rendu peu visible par un camion en stationnement provisoire. J’entendis derrière moi un agent me signaler la chose.

Je me retournai sans m’arrêter en levant un bras comme pour dire « OK, merci de le signaler, je ne l’avais pas vu ». Apparemment, mon geste fut interprété autrement, et l’agent se mit à courir droit sur moi sans m’avoir dit de m’arrêter, sans sommation. Effrayé par ce comportement soudain et n’ayant pas le loisir
de réfléchir, j’accélérai (craignant quand d’être renversé, car je roule toujours lentement). J’étais affolé, quand une voiture de policiers postés non loin me doublait pour me barrer la route. Je mis donc pied à terre : dès cet instant, j’étais désigné comme dangereux hors la loi, aucun doute n'était permis sur ma volonté préméditée de fuir la police. Trois policiers vinrent donc à moi rejoints par mon poursuivant (je n’avais pas fait 20 mètres) et je fus aussitôt « appréhendé » par l’un deux qui me saisit au bras (au niveau du biceps) en serrant fortement : on tenait le fuyard… Je ne supportai pas cette agression. Je dis bien agression. Je sais bien que j’étais dans mon tort, et je pris soin de m’écraser, de ne rien contester : ne pas m’agiter ni élever la voix. Mais il m’était impossible de supporter cette pince qui ajoutait l’humiliation à une situation déjà embarrassante. Je donnerais mes papiers si on lâchait mon bras. Rien à faire, bien entendu. Je bougeais mon bras pour me dégager (sans mouvement brusque, ni colère), mais répétant fermement que je n’acceptais pas cette façon de faire comme préalable aux explications. Toujours rien à faire. En trois minutes, des flics vinrent de partout en renfort contactés par talkie-walkie... j’en comptais bientôt douze. J'étais bien entouré. Et je demandais simplement qu'on lâche mon bras. Le dernier arrivé était en civil, très banalisé, jeans, baskets, blouson, saluant des collègues, et voyant que je refusais de collaborer, il s’abattit sur moi comme la foudre avec une violence insensée (et une technique de manif) pour me plaquer au sol sur le ventre et me menotter dans le dos ! Dans la chute, mes lunettes furent brisées, mon bracelet montre arraché, j’eus du sang dans la bouche et un hématome de 10 cm de diamètre au coude. Sidérant! Pour justifier une telle violence, il fallait bien me mettre en au trou ! Motif : délit de fuite. Mon sort basculait dans l’arbitraire pour presque 24 heures. A cet instant, je fus pris de panique. Étendu de tout mon long sur le trottoir, les bras dans le dos, la joue collée à l’asphalte, maintenu par deux hommes, et entouré de beaucoup d’autres, menotté en plein 6ème arrondissement dans une rue passante (la rue de Condé), il était midi, les gens se retournaient pour comprendre, j’avais l’impression d’être un terroriste, je ne voyais plus où cela pouvait mener et par ailleurs, les menottes me sciaient les poignets à m'en faire pleurer. Je me mis à crier "à l’aide" dans un réflexe de survie, je voulais qu’on me secoure, qu’on sache, qu’on comprenne, qu’on ne m’abandonne pas à ces furieux, j’avais peur d’être entraîné dans un engrenage infernal, dans un lieu où ma voix n’atteindrait plus personne, j’étais fou. Quelques passants tentèrent en effet de se renseigner… comment j’avais pu en arriver là ? Mais tout ce que je craignais confusément était prémonitoire : il s’agissait effectivement de garde à vue. Une fois calmé, avec l’aide d’un flic qui usa d’un peu de douceur pour étouffer ma bruyante panique, (tandis qu’une fliquette me traitait de terroriste, sic), je leur dit de prendre mes papiers dans ma poche arrière, ce qu’ils firent, et de me laisser téléphoner à mon employeur pour ne pas qu’il s’inquiète. J’ajoutais que j’étais en période d’essais chez un libraire et que je risquai ma place si j’abandonnais le magasin. Rien à faire : l’implacable machine de la garde à vue m’ôtait déjà du nombre des vivants, et je perdais à peu près tous mes droits, dont celui de prévenir quelqu’un avant d’avoir fait une déposition à un commissaire. On me plaça entre deux agents à l’arrière d’une voiture, toujours menotté dans le dos (les menottes font un mal de chien) et en route pour l'encellulement. Sirènes, grillage de feux, car il est vrai que mon cas justifiait qu’on empoisonne l’environnement sonore des citoyens ordinaires dont je n’étais plus, et qu’on gênât la circulation (mais l’urgence s’évanouirait pour eux, une fois le délinquant au trou à attendre la décision d’un procureur débordé). Désormais, je n’étais plus un homme, mais un délinquant lambda, coupable de nature. Dans un bureau, une jeune fonctionnaire qui mastiquait tranquillement une pâte à mâcher me posa des questions (après m’avoir fait enlever les menottes), et je dus décliner mon identité et livrer ma version des faits : la déposition. Aucune bienveillance, ce qui pouvait s’admettre, mais quand je m’inquiétai de ce qu’on dirait à mon employeur (car on a le droit de ne prévenir qu’une personne et seul le commissaire peut s’en charger), un imbécile au fond du bureau crut bon d’ajouter en ricanant qu’il fallait réfléchir avant… Ceci reflète ce qu’une personne comme moi représente dans l’esprit étroit d’un fonctionnaire qui ne vous a jamais vu et qui ne sait même pas le motif de votre présence : une racaille de plus, déchue de ses droits. J’étais donc à la merci de crétins qui ne prenaient aucun recul et agissaient comme des rouages tranquilles dans une procédure toute puissante. La suite se passa dans une cave. Un carré de béton d’1,50m X 1,50m où je croupis presque 24 heures sans rien, sans savoir quand tout ça finirait. Pour l’heure, j’espérais sortir dans l’après midi avec peut-être une amende ? Mais d’abord, la machine : déshabillé, «palpé», on me fit enlever mes lacets, tout le contenu de mes poches et mon blouson. On était au printemps, il faisait froid (le pauvre Beigbeder s’est fait embarquer fin janvier), mais c’est ainsi. Plus de montre, plus de temps. On me ficha : empreintes de chacun de mes dix doigts, photographie de face, de profil, de trois-quarts. Puis la cage. D’abord, je passai quelques temps en compagnie d’un jeune type dénoncé par sa femme (une très jeune malgache perdue à Paris) pour séquestration. Puis, je fus seul. Pas d’heure, pas de lumière du jour (néons criards), j’ignorais tout de la suite. Incroyable ! Que pouvait bien penser Chloë qui m’attendait sans doute à la maison. N’ayant le droit de prévenir qu’une personne, j’avais naturellement pensé à mon employeur, ne pouvant imaginer que la situation s’éterniserait dans de telles proportions (par la suite, quand je sus que j’étais là pour longtemps, j’obtins à force de cris que la commissaire lui téléphonât, faveur qu’elle considéra comme relevant d’une exceptionnelle magnanimité). A un moment, on m’apporta une collation presque immangeable (bouts de poulet noyés dans sauce féculente en barquette plastique chauffée au micro-onde, heureusement accompagnée de riz). Je ne sais plus bien ce qui tournoyait dans ma tête, mais par moments je frappais la porte la porte en fer à m’en briser les pieds (le cuir de mes chaussures en est resté fendu), je criais même à plein poumons pour expulser ma rage. Un flic descendit. Je demandai un livre qu’il me refusa, un blouson car j’avais froid (je n'avais qu'un pull en coton) : « c’est pas un hôtel ici ». Pourquoi ce besoin général de rabaisser la personne, de ne pas l’informer ? A quoi bon humilier ? Je rétorquais que même en prison, on avait le droit de lire. Il répondit qu’ici, je n’avais «aucun droit». Intéressant ! Finalement, beaucoup plus tard (je m’étais remis à vociférer), j’appris du flic de nuit qu’il était 22h00, que je ne sortirais pas avant le lendemain car la décision relevait d’un procureur et qu’à cette heure-ci, les bureaux étaient fermés. Je réclamais une couverture, on me précisa qu’elles n’étaient jamais lavées. J’acceptai néanmoins, et on me tendit quelque chose qui sentait l’urine et le vomis. Quand on met des poivrots ou des clochards en dégrisement, ces couvertures doivent être affreusement souillées. Mais je préférais ça au froid, puisque je me préparais pour une nuit à même le béton et qu’un soupirail laissait passer l'air glacial de la rue. Je ne pouvais m’étendre que sur le sol, en diagonale. Le même flic compréhensif acceptera de m’apporter un livre. Ce geste prouve la stupidité inutile de tous les autres qui ne cherchaient pas le moins du monde à procurer un apaisement quelconque. Ce livre me permit non seulement de passer le temps, mais d’avoir une sorte d’oreiller. Sans lui, sans Portrait de groupe avec dame, d’Heinrich Böll, quel supplice (le livre me permis aussi de poser ma tête sur quelque chose)! Je pense qu’il est superflu de détailler la suite  : confrontation avec deux flics qui déclaraient que j’avais été violent ! et puis attente à nouveau avant d’être relâché sans poursuite. Il me fallut quand même faire amende honorable devant la commissaire, suprême abaissement, mais j’avais objectivement eu tort (au départ) et je commençais à perdre pied.  
J’ai donc passé à peu près 23 heures en garde à vue, 12 rue Jean Bart dans le 6ème arrondissement de Paris, payé 90 € d’amende pour le feu et dû m’excuser après avoir été maltraité comme une bête (je n'admets d'ailleurs pas qu'on maltraite les bêtes). Mon employeur a été contacté par un commissaire qui a déclaré que j’étais retenu chez eux sans préciser le motif ni la durée. J’ai manqué deux demi journées. A présent je suis fiché pour cinq ans, et cette petite aventure pourrait aggraver mon cas si j’avais encore affaire à la gent policière. Il ne me reste qu’à reprendre le cours ordinaire de ma vie comme si de rien n’était. Sauf qu’à présent, je sais qu’il y a un envers au décors. Cette vieille démocratie de Liberté, d’Égalité, de Fraternité repose donc aussi sur une répression qui flirte avec la terreur. Sur le fichage des «individus», la statistique policière et la machinerie administrative. Les cols blancs pourront toujours pratiquer leurs escroqueries fiscales, certains politiques vivre aux frais de la princesse, sans se faire pincer, ou sans effectuer leur peine quand ils sont condamnés (pour raison de santé) et sans même payer leur amende ou rembourser le fisc car on s'arrange (Cf. les livres d'Eva Joly). Mais il n’y aura pas de pitié pour les quidams. 

Précision sur l'idée de procès d'intention


Ce que j’ai voulu dire dans le texte précédent, c’est qu’il y a procès d’intention dès lors qu’un agent adresse la parole à un citoyen sans lui témoigner le plus élémentaire respect : quand il le traite en délinquant, niant a priori sa bonne foi, ses intentions, son inclination naturelle à l'obéissance, toute cette urbanité qui n’attend aucune autorité pour se manifester. 
Certaines manières policières sont une offense à la citoyenneté, elles piétinent l'appartenance à la communauté dont l’équilibre ne peut reposer que sur un civisme libre et partagé. 
L'agent sans scrupule dénie la participation de chacun à cet édifice commun qui fonde rien moins que la République (FRATERNITÉ) – il la dénie au nom de procédures réduites par ses soins à leur plus formelle expression. Il en vient à surplomber le citoyen, sans vergogne, lourd de menaces, mésusant de sa charge, abusant en conscience de son pouvoir.
L'attitude que je veux stigmatiser, vous l’imaginez sans peine, mais comment se fait-il qu’elle soit si durement ressentie, que nous soyons si vulnérable ? J’ai presque répondu : par sa façon d'apostropher le citoyen, le gardien de la paix peut désigner la possibilité de le priver de tous ses droits quand il devrait au contraire les protéger. Il inflige ainsi à l'interpelé la sensation immédiate de sa déchéance. Par la parole et le geste, il le retranche du monde libre, civilisé, protecteur, et le fait basculer dans un monde sans repère. Le citoyen se sent frappé d’indignité quand c’est l'autre qui piétine l'édifice social. 
Ce sur quoi un tel représentant de l'ordre s’essuie les pieds, c’est cette fameuse common decency (morale commune ou décence ordinaire) décrite par Orwell et qui, bien mieux qu’aucun autoritarisme aveugle, permet de vivre ensemble. Il ne connaît plus de démocratie, d’égalité, de Nation, de personne humaine, ivre qu’il est de son autorité mal comprise et qui ne souffre pas la plus petite contradiction. Car ce fier à bras (qui existe aussi au féminin) se montre aussi susceptible qu’une première communiante si vous contestez son autorité. Il se déleste de tout ce qui concerne le respect des droits sur le respect de la procédure qu'il envisage comme une entrave à son pouvoir.
Pire : ce dernier joue de la surprise, de l'indignation sidérée du citoyen pour le pousser au "délit" qui permet d'ordonner la garde à vue et tout ce qui s’ensuit (statistique oblige).
Dans le contexte plus humain d’une petite ville où chacun se connaît, son comportement ne serait d’ailleurs pas permis : impossible, s’il sait un tant soit peu qui vous êtes, de vous traiter avec cet aplomb borné suite à une infraction mineure, une négligence qui peut s’avérer involontaire. Mais dans la grosse agglomération, le flic se drape dans l’anonymat pour agir sans humanité, pour écarter d’emblée ce qui plaiderait en votre faveur, honnêteté, obéissance, intentions, apparences, il balaye tout, vous réduisant à une statistique, (les fameux chiffres de la délinquance assortis d’objectifs) et se comporter en comptable entêté, instrument opportunément imbécile de répression. Comme si ce genre de mécanisme, si caractéristique des totalitarismes n’avait pas déjà prouvé sa monstrueuse efficacité… La culture du résultat appliquée à la sécurité, le nombre des "affaires résolues", autant d'indicateurs pervers et démagogiques. 



 
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[1] Quelques phrases typiques prises dans le livre de F. Beigbeder : « Ce donjon date du Moyen Age et vous pouvez à tout moment y être détenu » (à propos du dépôt de Paris). « Ceux qui ont fait de la garde à vue savent de quoi je parle : le retour à l’état de bête soumise et inquiète ». « La France (…) tolère un POURRISSOIR D’HUMAINS au centre de Paris ». « … des personnes présumées innocentes sont TOUS LES JOURS déférées dans ce cloaque réfrigéré et putride AU PAYS DES DROITS DE L’HOMME. Je vous parle d’une abjection absolue qui se situe à côté de la place Saint-Michel (…) EN CE MOMENT, AUJOURD’HUI, MAINTENANT, TOUT DE SUITE, DANS LA CAPITALE DE LA FRANCE » (c’est l’auteur qui souligne). Au passage, on remarque la pauvreté du style et le relâchement de la pensée. Pourquoi insister dans son indignation sur le fait que cela se passe à Paris ? Cela serait-il par hasard plus acceptable loin de chez lui, en lointaine banlieue ? En province ? A Guantanamo ? Il est vrai que j’ai moi-même été surpris d’être appréhendé de façon aussi brutale en plein 6ème arrondissement, mais cela me conduisait aussitôt à imaginer un sort plus terrible encore pour les malheureux habitants de quelques coins moins favorisés. A moins qu’il y ait justement un souci d’égalité dans le traitement abjecte de la délinquance ?

4 commentaires:

  1. Tu vas encore enerver le Pangloss du Square....

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  2. Je découvre ton blog et... cet article !
    Je suis aussi sidéré que, finalement, à peine surpris moi qui n'ai connu que les entrailles des Invalides pour une simple déclaration de vol d'autoradio... Un endroit sorti de nulle part, des locaux en parfaite opposition avec l'idée que l'on se fait du 7e... Des armoires aux portes dépareillées, aux serrures cassées, des chaises toutes déchirées. Mais ce n'était rien comparé à l'agent qui a pris ma déclaration. Visiblement un jeune qui avait été blessé ? Je ne sais pas mais ce que je sais c'est qu'il a mis une heure pour taper 10 lignes et qu'à la fin, une collègue est venue achever son "oeuvre". Même ses collègues présents dans la pièce étaient gênés...
    C'était surréaliste.
    Et dire que des dizaines d'étrangers doivent défiler dans ces lieux pour des vols en tout genre.
    Quelle belle image !
    Quelle triste réalité !
    Mais évidemment c'est sans commune mesure avec ton "expérience".
    Nous aurons sûrement l'occasion d'en reparler.
    Il faut que ton témoignage se balade plus sur la toile !
    Je vais le relayer sur FB si tu n'y vois pas d'inconvénient.
    En même temps, quelle idée de rouler à vélo dans Paris ! T'exagères !

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    1. Ça ne s'oublie pas et c'est pourtant banal. Et ça doit être bien pire pour certains. J'avoue que je n'ai pas complètement compris comment on peut en arriver là (sauf les fameux objectifs de nombre d'affaires résolues) mais j'ai l'impression que l'autorité passe par ce genre d'exc

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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