A propos de Fenêtre sur Cour, 1954
Jusque là son cinéma m’ennuyait, je n’y voyais que grosses ficelles et en toute sincérité, je ne comprenais pas qu’on en fît si grand cas. Sachant que la Nouvelle Vague ne jurait que par lui, Truffaut et Rohmer en tête, la question me turlupinait. J’avançais incrédule que ses films avaient vieilli à force d’avoir été copiés.
Et puis j’ai vu Fenêtre sur cour. Un film étrange, tout à fait original, et je vais tenter de dire pourquoi très naïvement.
Vous connaissez sans doute l’argument du film interprété par Grace Kelly et James Stewart.

La première originalité du film tient dans l’unité de lieu. Tout est filmé depuis l’unique pièce où séjourne James S., tandis que la véritable action, c'est-à-dire, conventionnellement, le meurtre, se déroule à l’extérieur, qu’on aperçoit comme lui par le cadre de la fenêtre. Les séquences d’observation sont construites en trois temps : on voit James S. diriger son regard vers l’extérieur, puis on voit la scène qu’il regarde par un effet de zoom (donc sans quitter la pièce), puis on revient sur le visage de Stewart dont l’expression nous renseigne sur ses sentiments.
Sur ce dispositif, il y a déjà beaucoup à dire. Ce voyeurisme en fauteuil renvoie bien sûr au cinéma lui-même. Cette mise en abîme est une aubaine pour les sémioticiens en chambre.
Nous sommes donc spectateur au même titre que le personnage principal, réduit à interpréter ce qu’il observe de sa fenêtre, savoir des bribes de réalité, sans que jamais le cinéaste ne se mêle de nous fournir (par devers ses personnage) un quelconque supplément d’information. Ainsi, se trouve matérialisée la réalité abstraite qui fonde tout récit : le point de vue du récepteur indéfectiblement déterminé par l’auteur. Quelle que soit sa liberté d’interprétation des faits proposés, le lecteur, spectateur, auditeur d’un récit est prisonnier du point de vue imposé par le créateur. Dans Fenêtre sur cour ce carcan est donc figuré par la chambre de James Steward. Nous ressemblons aux enchaînés de la Caverne dans la République de Platon.

Voilà ce qu’il y a de merveilleux : la chambre matérialise le point de vue, le personnage principal, James S. matérialise le spectateur. C’est nous même que nous observons, assis sur ce fauteuil, immobilisé par ce plâtre, interrogeant les images projetées… Quelle ironie de la part d’Hitchcock !

Mais dans Fenêtre sur cour, on comprend qu’il ne s’agit pas de la tortuosité du mal ou de sa fascination. Tout ça n’est que métaphore ; Hitch tel un créateur tout puissant, met sur pied un dispositif parfaitement cohérent dans lequel le spectateur se déplace comme un simple cobaye !
Mais à ce sujet, je souhaite expliquer de quelle façon ces choses me sont apparues. Car pour le spectateur naïf que je suis, Fenêtre sur cour ne s’est pas d’emblée présenté à moi comme un film au deuxième degré. J’ai commencé par suivre l’intrigue avec la parfaite insouciance du consommateur en quête de divertissement. Et il faut admettre qu’on trouve l’intrigue un peu mince au premier abord. Il ne se passe pas grand-chose. Et c’est progressivement, et surtout au terme du film que tout se met en place, que chaque détail, chaque plan se trouve lesté de sens. On est alors prodigieusement surpris de tout ce qu’on découvre alors. Rien n’échappe plus à une logique qui devient alors évidente autant qu’implacable, quoiqu’on n’en mesure pas tous les effets et que Hitchcock n’ait jamais explicitement livré de mode d’emploi. Diabolique!

Voilà le tour de force de Hitchcock, voilà comment j’ai appris que Hitch était brillant !
A propos de Fenêtre sur cour, je vous renvoie en attendant mieux à la notice de Wikipedia. On y réfléchit à l’inversion des rôles que représente l’impuissance et l'immobilité de l'homme, James Stewart, étendu et cloué à son fauteuil, face à la mobilité et à la position verticale de la femme, Grace Kelly. Les dialogues prennent un sens nouveau à la lumière de cette inversion.

Dave
RépondreSupprimerLe côté spectateur interprété dans le film (ou le tableau) qui n'est pas toujours aussi magistralement en évidence est un topos...Mais l'autre jeu que tu ometse c'est la facon dont chaque dialogue de Grace K. peut etre interpreté... :-)
Topos contre topos, c'est un duel ou un duo?
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