Jean-Jacques Pauvert,
La Traversée du livre,
Paris, Viviane Hamy, 2004
Introduction
§ Jean-Jacques Pauvert, né en 1926, est éditeur depuis 1945.
§ La Traversée du livre constitue le premier volume de ses mémoires, jusqu’en 1968. Le volume suivant est en préparation.
La Traversée du livre
Comment Jean-Jacques Pauvert devient éditeur
La formation d’un esprit libre - Dès le plus jeune âge, Jean-Jacques Pauvert se décrit comme un esprit indépendant se défiant des systèmes. Ses études sont médiocres ; il ne brille qu’en français et en sciences naturelles, quand il juge que son professeur en vaut la peine. A 13 ans, il est déjà grand lecteur et dévore la bibliothèque de son grand-père. Ces lectures l’accompagneront toute sa vie. Après la classe de cinquième, il trouve un emploi à la librairie de la N.R.F. Simple vendeur, il commence tôt à se faire des relations et développe une activité annexe dans le commerce des livres rares et des tirages limités qui, à l’époque, sont l’objet d’une intense spéculation. Dans ce récit, Jean-Jacques Pauvert nous fait mesurer le prestige dont jouissait le livre avant-guerre.
Un homme d’action - Pendant la guerre, nous découvrons un homme d’action. Par goût de la vie, de l’inconnu, Jean-Jacques Pauvert s’élance vers des aventures sans en craindre les périls. L’engagement politique n’a aucune part dans ses élans. Ce comportement ressemble à celui qu’il aura plus tard dans son métier.
Son premier livre - Après la guerre, Jean-Jacques Pauvert développe encore ses relations dans le monde des lettres. Il continue de vivre d’activités liées au livre et porte un regard neutre sur l’épuration et la Résistance, se gardant de prendre parti pour les uns ou les autres.
Il décide de créer une revue et d’éditer un livre. Il n’a pas le projet précis de devenir éditeur, mais veut défendre des idées. Un article de Sartre, qu’il souhaite pérenniser, l’amène tout naturellement à publier son premier livre.
Une personnalité - Sa personnalité semble à cet instant l’élément déterminant de son parcours : il séduit par sa jeunesse, son esprit d’initiative et son intelligence. Il frappe sans hésiter aux portes des grands écrivains.
Dans le récit de cette période historique, Jean-Jacques Pauvert se révèle un fin observateur. Il relève un grand nombre de détails significatifs d’une époque, et ses informations sont de première main. Il distingue avec soin et rigueur ce qu’il a vécu, des réflexions faites a posteriori. La fluidité de son style enlevé laissent entrevoir un homme direct, intuitif, affrontant sans détours et sans jugement moral les aspects plus ou moins sombres de la condition humaine.
De quelle façon Jean-Jacques Pauvert édite
Sade, une rencontre - Au fil des chapitres, Jean-Jacques Pauvert livre ses découvertes littéraires, au cheminement souterrain, ressurgissant parfois des années après.
Parmi elles, Sade, si étroitement associé à son nom, puisqu’il est le premier éditeur à l’avoir publié ouvertement. Sa première lecture de Sade l’impressionne profondément. Constatant que son œuvre est abondamment citée et commentée par de nombreux intellectuels, et que cependant elle est introuvable, Jean-Jacques Pauvert pressent un manque.
Les mille facettes de l’éditeur - A travers la longue aventure des publications de Sade, qui l’amèneront maintes fois devant les tribunaux et les services de Police, Jean-Jacques Pauvert fait sa profession de foi d’éditeur. Editer, c’est faire preuve d’audace et de perspicacité, c’est risquer. Et c’est dans le même temps un métier artisanal et humain qui demande pragmatisme et diplomatie.
Editer Sade, intuition et responsabilité - Pour mener son projet à bien, Jean-Jacques Pauvert cherche des appuis dans deux directions : l’intelligentsia d’un côté, un diffuseur de l’autre. On ne peut pas dire qu’il rencontre un écho très favorable, et pourtant il publie. Là s’affirment deux dimensions propres à l’éditeur : l’instinct et la responsabilité. Encourant sciemment un risque commercial et devançant l’esprit de son temps, Jean-Jacques Pauvert pose un acte militant dans le monde des lettres.
Le soin du livre - Un trait marquant de Jean-Jacques Pauvert est l’attention qu’il porte à la fabrication et notamment à la typographie. Pour sa première édition de Sade, il choisit la sobriété : couverture simple, papier courant, volume ordinaire. Il s’agit de mettre l’accent sur l’essentiel : à cette époque, c’est de mettre « pour la première fois au monde un nom d’éditeur sur un Sade « interdit » au texte intégral ».
Plus tard dans les années 50, on verra Jean-Jacques Pauvert faire un choix différent pour Sade : une présentation austère mais luxueuse (avec une couverture noire et des mots estampés en or véritable). Cette fois, il entend signifier que Sade est un classique et qu’il a sa place au panthéon littéraire.
L’etoffe de l’éditeur
Un homme de vision - Avec Sade, Jean-Jacques Pauvert se heurtera longtemps à la censure. Accompagné de son avocat Maurice Garçon, il ne faiblit jamais et finit par avoir raison. Fidèle à son intuition, homme de vision, il luttera jusqu’à ce que les temps et les mentalités lui soient plus favorables. « L’époque commence à m’aller mieux », constate-t-il dans les années 60. En mai 68, Jean-Jacques Pauvert qui édite les dessins de Siné et Wolinsky semble baigner dans son élément.
Un homme de rencontres - Jean-Jacques Pauvert cultive constamment ses relations avec les auteurs et les éditeurs. C’est un commerce délicat et il lui arrive de se disputer avec Léautaud ou Gide. Jean Paulhan lui confie le manuscrit d’Histoire d’O de Dominique Aury, Breton, dont il partage souvent les vues, lui donne plusieurs manuscrits ainsi que Mandiargues, Bataille…
Un homme de choix - Jean-Jacques Pauvert affirme ne pas publier ce qu’il n’aime pas.
« L'année où l'on n'a que des manuscrits de mauvais romans, mieux vaut publier un bon recueil de mots croisés ». A l’inverse, quand un livre lui plaît, rien ne l’arrête. Que ce soit pour Pauline Réage (Dominique Aury)dont il rachète les droits auprès d’un confrère, Georges Darien dont les droits sont échus à des ferrailleurs, Raymond Roussel dont les droits sont indûment conservés par ceux qui l’avaient publié à compte d’auteur, Jean-Jacques Pauvert sait quand un livre lui revient. Ses choix le conduisent à quelques erreurs. Lorsqu’il rétablit le langage cru de Flaubert dans sa correspondance ou se lance dans la réédition du Littré malgré son manque de solidité financière, il doit faire marche arrière.
Avis
Le style de Jean-Jacques Pauvert, très éloigné de toute pompe littéraire, n’est pourtant pas exempt de raffinements, notamment dans la syntaxe et la ponctuation. Propre à restituer les atermoiements plus ou moins fugitifs de la pensée, il excelle à en rendre le mouvement, s’interdisant de trop la reconstituer. Jean-Jacques Pauvert n’hésite pas à exprimer des doutes, là où une certaine paresse de l’esprit s’accommoderait d’une affirmation complaisante.
Dans une interview de 1965 pour le Nouveau Candide, (« Ceux qui confondent usine et édition »), Jean-Jacques Pauvert a une réflexion saisissante d’actualité sur la librairie et le livre :
«Un libraire reçoit en moyenne trois cents nouveautés littéraires par mois ! La crise de l’édition, elle est là. […] S’il y a crise, ce n’est pas une crise de mévente, c’est une crise de surproduction. Qu’on publie deux fois moins de livres, et on en vendra deux fois plus ».
Au dernier salon du livre, j'apprends de Viviane Hamy, son éditrice, que Jean-Jacques Pauvert ne publiera pas la suite de ses mémoires, comme prévu. Il vit désormais à la campagne, retiré, fatigué, trop vieux.
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