lundi 1 février 2010

Un humain dérisoire ou l'imbécile ver de terre



A Serious man des Frères Cohen, sorti le 20 janvier

Une bonne critique doit selon moi donner un avis qui permette au lecteur de se faire le sien propre à travers la description honnête des caractéristiques de l’oeuvre. Ce qu’il y a de curieux dans l’exercice, c’est qu’emporté par sa fièvre analytique, le critique finisse parfois par confondre l’œuvre avec sa propre besogne et trouver passionnant ce qui l’avait initialement ennuyé. A force d’y déceler une cohérence, le critique, qui ne fait que saisir la recette de l’artiste, s’enhardit en oubliant le principal, à savoir sa première impression.
En ce qui concerne A Serious man, je dois dire que je suis sorti déçu, comme pour le précédent d’ailleurs (No Country for old men). Et pourtant, il y a de réelles qualités dans ce film.
Mais commençons par donner un aperçu général. A Serious man est une comédie. Son argument  :  un juif américain moyen, Larry Gopnik, à la fin des années 60, voit s’abattre sur lui une somme incroyable de tuiles. Son caractère particulièrement affable, incapable de révolte et avant tout conformiste donne vite une tournure cocasse à la situation.
Pour donner une idée plus précise du film il faut ajouter au moins deux ou trois choses :
-         Plusieurs éléments concourent à donner à cette histoire la dimension d’une fable : le premier est une scène d’introduction située en Europe centrale chez des juifs ashkénazes qui s’expriment en yiddish à une époque ancienne mais pas vraiment déterminée. Ce détour rappelle le principe de la citation en exergue et place le film sous le signe de l’humour juif. Dès lors, on comprendra que le souci des réalisateurs se situe moins dans la nuance psychologique des individus que dans le jeu des personnages ou des situations. Le deuxième élément qui tire le film vers la fable, est sa division en trois chapitres correspondant aux visites de Gopnik à 3 rabbins dont il attend en vain aide ou réconfort. Enfin, il y a les rêves de Gopnik donnent une extension plus universelle à l'ensemble.
-         Ceci amène naturellement une seconde remarque : ce film s’attache particulièrement à peindre un milieu. Ici, il faut rendre hommage aux soins apportés aux décors, à l’image, aux costumes, aux sons et qui me semblent tout sauf anecdotiques. Ce que l’on « voit » à travers l’histoire de ce juif, c’est l'univers normé, net, aseptisé des banlieues résidentielles qui bien sûr échoue à conjurer les démons ou les tourments des hommes. La sérénité qui se dégage des paysages urbains filmés avec lenteur, douceur, je dirais même sensualité, sur un fond musical des plus apaisant, fait un contrepoint comique voire critique aux drames qui se jouent. Cette tension  s'applique tout autant à l’institution juive avec ses rites et ses représentants impuissants à soulager un homme que tout accable. Ce regard ironique et bienveillant est présent dès la scène inaugurale et rappelle également les autres films des frères Cohen. On est davantage dans le registre de la nostalgie que dans le règlement de compte, même si le constat est objectivement sévère, le ton ne l’est pas.
-         Ce qui m’amène au troisième point : la sensualité de la caméra. L’aspect comique présent tout au long du film m’a moyennement convaincu. Tous les gags sont lisibles et arrachent un rire, mais il y a comme un temps de retard dans la mécanique, et je ne ris jamais franchement. Ce qui me fait penser que cette sensualité de la caméra est peut-être le plus important dans ce film et peut-être dans d’autres (on se souvient de The Barber, ou de la scène du Bowling dans The Big Lebowski sur fond d’Hotel California version Gypsy Kings). Le grand procédé des frères Cohen serait peut-être la tension entre le récit d’une part et l’image et le son d’autre part. Le récit évoquant avec distance (sans parti pris ni démonstration) des tranches de vies mouvementées voire tragiques, et l’image une sorte d’apparence doucereuse jusqu'au dérisoire, le tout désignant avec un sourire malicieux l’agitation des hommes et la nullités de tout ce qu’ils tentent pour s’élever au dessus de leur condition misérable d'"imbécile ver de terre"*.

Comme dans les films précédents, nous retrouvons des personnages d’une grande drôlerie (et d’autres moins réussis comme le voisin peu commode et amateur d’armes à feu, la voisine hyper sensuelle, et même le frère autiste qui squatte le salon dont la ressemblance avec Jack Lemon est frappante…) : je citerai Sy Ableman, l’amant onctueux et pontifiant, et le directeur de l’école juive, magnifique évocation de l'intellectuel juif.
Enfin, on pensera à Woody Allen à cause de la dimension métaphysique de cette histoire de professeur de science rationaliste à l'excès qui cherche cependant auprès de Dieu des réponses aux situations les plus absurdes. Mais j’avoue être passé à côté de cet aspect des choses que l’humour de Woody Allen a su rendre tellement plus incisif…

* "Quelle chimère est-ce donc que l'homme, quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ! Juge de toutes choses, imbécile ver de terre ; dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur ; gloire et rebut de l'univers. » Blaise Pascal, Pensées, 434.

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