lundi 12 décembre 2011

La vérité sur le dernier Emmanuel Carrère

La vérité c'est que Limonov, le dernière livre de Carrère, est médiocre.
C'est triste à dire, car j'avais aimé Un Roman russe.

Je souhaite expliquer un peu ce point de vue parce qu'au fond, ce livre est peut-être exemplaire dans son genre. D'ailleurs, j'en conseille malgré tout la lecture...

Carrère nous conte la vie d'un personnage improbable et rocambolesque : Edouard Limonov. C'est le sujet du livre, c'est ce qui fait tourner les pages.
Mais l'essentiel chez un écrivain comme Carrère est ailleurs. Carrère a donné de la substance à l'autofiction dans Un Roman russe. Ici, on le retrouve bien présent dans son livre en tant que narrateur qui continue de livrer ses doutes et parfois ses faiblesses. Mais sur cet aspect qui donc est l'essentiel, il faiblit, il déçoit, il se rétrécit jusqu'à l'insignifiance.

Dans un Roman russe, j'étais admiratif du courage dont il faisait preuve en exposant et décortiquant  même ses turpitudes avec une tendance presque masochiste qui s'interprétait facilement comme une quête de rédemption donnant sa vraie densité au livre. Il voulait être bon et nous montrait combien il était mauvais, méchant et prétentieux, condescendant comme beaucoup d'hommes peuvent l'être et comme très peu l'admettent. Il nous livrait tout et nous faisait juge.... mieux que Jean-Jacques!

Dans Limonov, voilà qu'il raconte la vie d'un être animé d'une énergie, d'une volonté, d'une liberté stupéfiantes. A partir de ça, quelle promesse est-on en droit d'attendre d'un écrivain et de Carrère en particulier?
1. Bien sûr, le récit de cette vie, mais cela ne suffit pas : on attend un contexte, une mise en perspective politique, historique (la Russie, les années 80...) et surtout humaine : que représente Limonov, finalement, du point de vue universel? Quel genre de héros, d'anti héros est-il, sur quelle corde, présente en chacun de nous, tire-t-il plus que nous?
2. Ensuite, ce qu'on attend de Carrère, c'est qu'il se mesure à ce personnage qui n'est pas lui. Après sa fameuse quête de rédemption, sa façon de battre sa coulpe avec le désir ardent de progresser vers un état plus noble, plus valeureux, que va lui enseigner un Limonov? Lui, le fils bien né d'intéllos de droite du XVIè arrondissement de Paris, qui a fait ses études à Jeanson de Sailly puis Sciences-Po, que va-t-il tirer de ce prolétaire revendiqué qui a su se jouer des barrières pour se hisser hors de son milieu sans jamais cependant tourner le dos à ses origines?


Sur ces deux points, sur ce que nous enseigne Limonov sur nous même et sur Carrère, je suis totalement déçu.
Nous avons le récit assez brut d'une vie passionnante mais dont il ne reste, à la fin, rien.
Carrère effleure le sujet, ébauche des pistes mais s'en tient là avec une paresse que je trouve presque haïssable.
Si j'étais Limonov, je serais furieux de voir ma vie réduite à un tas de papier sans conséquence, qui se referme sur lui même sans la moindre perspective. Une énergie fantastique, une vie incroyable... pour rien. Carrère se contente de raconter gentiment, platement... quelle prétention finalement! Qui est-il pour saboter la vie d'un homme?  Il n'a fait que vampiriser cette vie en sachant que sa petite habilité, son petit savoir-faire en ferait une bonne vente dans les librairies. Voilà tout. J'exagère...
Carrère ne s'élève pas au-dessus du reportage, et ne poursuit pas la quête qui semblait l'animer dans ses précédent livres.
Encore un livre qui ne méritait pas son prix (Renaudot)...

Je note au passage que Carrère est conscient de l'inanité de son projet : face à Limonov qui lui pose la question : "pourquoi écrire sur moi?" il a une réponse peu convaincante. A plusieurs reprises, il sent que cette vie extraordinaire ne débouche sur rien, il s'interroge, songe à abandonner son livre. On se demande si au fond, ce livre n'est pas une tentative jalouse de détruire un mythe, - tentative animée par une mauvaise conscience (de quoi? on ne sait pas) qui ne trouve pas à se libérer autrement.

Restent les faits suffisamment riches pour nous inviter à réfléchir profondément aux choses essentielles : que faire de son existence?

4 commentaires:

  1. Vaiment très dur cette critique. Je ne jugerais pas de la qualité littéraire de ce livre mais il est agréable à lire et nous permet de découvrir un personnage emblématique de notre époque qui m'était jusqu'alors inconnu.

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  2. Vous avez entièrement raison. Mais pour avoir lu Un Roman russe, du même auteur, je pense qu'Emmanuel Carrère aurait pu écrire un livre encore meilleur!

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  3. et bien vous n'y allez pas avec le dos de la main morte... J'en suis au milieu, peut-être ne devrais-je rien dire mais d'abord j'apprécie cette écriture, j'ai du plaisir à la lire, ce qui, tout bien considéré, ne m'arrive pas souvent (la dernière fois c'était Simon Leys) c'est fluide, familier, limpide. Et je suis plutôt convaincue qu'il y a derrière ce personnage une chose assez troublante c'est de l'humanité. Parce que sinon le parcours de cet homme somme toute maintes fois raconté depuis Rastignac ne m'aurait guère intéressé tant je me sens éloignée de cette vie.
    Mais, je n'ai pas lu Un Roman russe.

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  4. Oui ça se lit bien, ça nous passionne et de l'aveu même de l'auteur, ce livre est un "page turner". Mais c'est du super reportage or je suis sûr que Carrère aurait pu faire mieux : de la littérature. Je le critique par rapport à ce qu'il AURAIT PU faire! Et aussi parce que j'en ai marre des livres faciles qui envahissent tout au détriment des œuvres rares qui passent inaperçues.
    Je prends des exemples très différents en 2011 : Stoner de John Williams (au Dilettante), Sept maisons en France de Bernardo Atxaga (Bourgois), Et devant moi le monde de Joyce Maynard (en 10/18 en janvier), Brigitte Giraud (Stock), le dernier Ian Levison (Liana Levi), Sukkwan Island de David Vann (Gallmeister). Ces oeuvres ont un souffle qui emporte bien plus loin que Limonov car l'art qui les sous-tend désigne un au-delà littéraire tandis que Carrère s'en tient à des faits qui, même intéressants, n'ont pas la même ambition.

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